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La flûte à bec carrée Paetzold a été développée dans le but d’offrir aux amateurs et professionnels un instrument bon marché avec un son plus stable que celui des flûtes traditionnelles. Or, en plus de répondre à ces deux exigences, la flûte Paetzold a une palette sonore très riche, ce qui fait d’elle un instrument de grand intérêt pour la musique contemporaine. Ses caractéristiques sonores et acoustiques sont encore peu explorées et surtout elles n’ont jamais été documentées. Les compositeurs qui connaissent l’instrument, les compositions qui exploitent vraiment toute sa richesse et les interprètes qui jouent ces compositions sont rares.

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La flûte à bec, instrument par excellence de la Renaissance et de l’époque baroque, tomba dans l’oubli total au 19ème siècle, suite à un important changement dans l’esthétique musicale. Ce n’est qu’au cours du 20ème siècle qu’elle fit une résurrection double : dans le cadre de la Aufführungspraxis historique et de la redécouverte d’un répertoire presque oublié d’une part, dans le cadre de la musique contemporaine d’autre part. Sa grande palette de bruits, de sifflements, de froissements et de froufrous, la finesse de ses nuances sonores et dynamiques, ses multiphoniques, glissandi et flageolets attirèrent l’attention des compositeurs du 20ème siècle, furent source d’inspiration et moteurs d’innovation. De nouvelles techniques de jeu apparurent et les facteurs d’instrument cherchèrent à améliorer l’instrument.
 
C’est dans ce contexte que le facteur de flûtes à bec allemand Joachim Paetzold, inspiré par les buffets d’orgues qui combinent des registres de tuyaux cylindriques et des registres de tuyaux carrés, eut l’idée, vers la fin des années cinquante du siècle dernier, de construire une flûte à bec carrée. Il cherchait à développer un instrument jouable facilement sur deux octaves, avec une attaque rapide et surtout bon marché. Son prototype en contreplaqué donna « quelque chose de bien », et ce premier succès l’encouragea à continuer ses essais. Au début des années septante, il aboutit à une flûte carrée basse nettement améliorée, et en 1975 il tenta de développer une contrebasse, cette fois avec l’aide de son neveu Herbert. Etant ni facteur d’instruments, ni même musicien, mais électrotechnicien et menuisier, ce dernier contribua au développement de la nouvelle flûte sans idées préconçues et sans être influencé par les traditions de la facture des flûtes à bec, ce qui s’avéra être un immense avantage. En 1976, la première flûte carrée Paetzold fut patentée et convainquit immédiatement les musiciens professionnels qui l’essayèrent : en 1977 Frans Bruggen commanda trois instruments pour son trio “Sour Cream” avec Walter van Hauwe et Kees Boeke.
 
Jusqu’à présent, deux musiciens seulement ont sérieusement exploré la flûte à bec Paetzold et surtout travaillé sur son lien avec l’électronique. Le premier, Michael Barker, professeur au Conservatoire Royal de Den Haag, eut l’idée en 1986 de relier une flûte Paetzold à un système électronique. La flûte carrée avec ses grandes clés et ses surfaces plates lui parut être un support idéal pour l’installation de dispositifs électroniques. Il en plaça 24 au total, dont 23 qui laissaient inchangé le son de la flûte : un premier pour mesurer la pression dans le canal d’air, un sous chacune des 11 clés (permettant ainsi à l’instrumentiste de contrôler la software tout en jouant) et finalement 6 boutons et 2 capteurs sur l’arrière de la flûte. Un seul de ces 24 dispositifs électroniques, un petit microphone condensateur très puissant, servait à modifier, plus précisément à amplifier le son de la flûte. Le nouvel instrument ainsi créé fut appelé « midified Recorder » ou « MiRe ». Il permettait au musicien de développer un catalogue sonore personnel et fut surtout utilisé pour improviser. Malheureusement, aucune collaboration avec des compositeurs importants ne fut recherchée, aucune composition intéressante ne suivit, et le travail à l’époque révolutionnaire de Michael Barker disparut avec son créateur. Le second flûtiste qui se lança dans l’expérimentation avec des composantes électroniques placées sur une flûte Paetzold fut Cesar Villaviciencio, un des étudiants de Barker. Profitant des progrès rapides de la technologie, il ne se contenta pas de placer des capteurs et un microphone condensateur sur sa flûte Paetzold contrebasse, il l’équipa également d’un moniteur LCD. Villaviciencio improvise aujourd’hui encore sur cette flûte.
 
Malgré l’intérêt qu’elle présente de par son côté spontané, expressif et surtout personnel (voir à ce propos l’article de N. Polaschaegg dans la revue Diissonance # 99), force est de constater que l’improvisation ne suscite que peu de développements musicaux réels. Comme le disait Berio en 1981, dans ses entretiens avec Rossana Dalmonte : « […] L’improvisation agit normalement au niveau de la pratique instrumentale et non de la pensée musicale. […] Je ne crois pas qu’une pensée musicale puisse avoir besoin de l’improvisation pour se développer, pour se manifester complètement et pour se rendre utile aux autres d’une manière ou d’une autre. Elle a besoin de moyens plus stables, plus raffinés, plus filtrants et que l’on peut noter plus sûrement. […] Cela n’empêche pas que [dans une improvisation] surviennent parfois des choses assez étonnantes sur le plan du temps, de la technique et de l’anecdotique musicale, mais il n’arrive jamais rien d’intéressant, et serait-ce par hasard, sur le plan de la pensée musicale» (pp. 114-115).
 
Conscient de cette problématique et désireux de contribuer à l’élargissement du répertoire contemporain pour flûte à bec, Antonio Politano, professeur au Conservatoire de Lausanne, s’attache depuis des années à susciter la composition de pièces nouvelles de qualité pour flûtes Paetzold et live électronique. Une grande partie des pièces écrites jusqu’à ce jour pour flûte(s) Paetzold lui sont dédiées, ce qui n’est pas sans poser problème : étant composées « sur mesure », elles se révèlent bien souvent injouables pour d’autres flûtistes, qu’ils soient étudiants ou professionnels. Par ailleurs, Antonio Politano regrette que si peu de compositeurs contemporains importants connaissent la flûte Paetzold, que la riche palette sonore de la flûte n’est que rarement bien mise en valeur et que les possibilités qu’offre la live électronique, c’est-à-dire l’interaction entre l’instrumentiste et l’ordinateur, sont peu exploitées.

C’est dans ce contexte que s’inscrit le projet de recherche PRIME duConservatoire de Lausanne.

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